Biographie de Jean Hélion

1904 Naissance de Jean Bichier, dit Hélion en Normandie, dans un milieu très modeste.

1913 Premiers essais de couleurs.

1920 Brèves études de chimie, pour chercher la réalité des choses derrière leur apparence, tout en écrivant des poèmes.

1921 Apprenti-dessinateur chez un architecte parisien, il parcourt Paris pour effectuer des relevés, commence à se passionner pour les scènes de rue. Ecrit des poésies, deviendra l’ami de nombreux poètes mais choisit définitivement la peinture. Visite assidument le Louvre, en particulier les œuvres de Poussin et Philippe de Champaigne.

1922 Première peintures, épaisses et figuratives jusqu’en 1929 : surtout des portraits et des natures mortes.

1925 Un collectionneur, Georges Bine, lui assure des revenus, plus ou moins réguliers. Il peut se consacrer entièrement à la peinture.

1926 Rencontre décisive avec Torres Garcia, qui habitera chez lui, lui fera découvrir le cubisme et plus généralement l’art moderne, l’initiera aux recherches artistiques de son époque, le présentera à de nombreux artistes. Ses compositions deviennent plus rigoureuses, les formes sont simplifiées.

1927 Fonde avec des amis une première revue où il publie un choix de ses poèmes sur la ville.

1928 Exposition de deux tableaux au Salon des Indépendants, mais il est refusé au Salon d’automne. Organise une exposition de protestation « Les 5 Refusés » (avec notamment Torrès-Garcia).

1929 En novembre, exposition de ses premières oeuvres abstraites à Barcelone. A Paris à l’automne, il rencontre Théo van Doesburg, Otto Carlsund et Léon Tutundjian avec qui il fondera le groupe Art Concret dont le manifeste affirme : « L’œuvre d’art… ne doit rien recevoir des données formelles de la nature, ni de la sensualité, ni de la sentimentalité. » Toute inspiration de la nature est bannie. Ce qui, il s’en apercevra rapidement, ne correspond pas à la nature profonde de Hélion, mais bien à son désir d’élaborer un langage universel compréhensible par tous.

1930 Sous l’impulsion de van Doesburg, le groupe Art Concret s’élargit et devient alors Abstraction-Création (avec Arp, Delaunay, Herbin, Kupka, Gleizes, Valmier et Tutundjian (puis, après la mort de van Doesburg en 1931, Vantongerloo). Voyage en URSS : choqué par l’absence de liberté de ses interlocuteurs artistes ou intellectuels, il prend ses distances avec la propagande communiste.

1932 Hélion part aux Etats-Unis, épouse Jean Blair, américaine originaire de Virginie. Début de fréquents aller-retour entre Paris et les Etats-Unis. A Paris, la galerie Pierre Loeb organise sa première exposition personnelle. Il se lie d’amitié avec Mondrian, Arp et Giacometti, dirige le premier numéro de la revue Abstraction-Création où il publie un article.

1933 Prend ses distances avec les doctrinaires de l’art abstrait : « La supériorité de la nature est d’offrir le maximum de complexité de rapports. C’est vers elle que je vais à grand pas. » Il renonce au formalisme de l’art géométrique. « L’oeuvre est considérée comme un organisme en croissance. Autant que possible elle échappe à la toile, comme elle échappe à l’artiste. » Apparition de volumes. Devient l’éminence grise de la Galery of Living Art à New York : la première institution américaine, avant le Moma, dévolue aux grands artistes européens de la première moitié du XXème siècle.

1934 Première exposition personnelle aux Etats-Unis. Ses formes, qu’il appelle désormais figures se séparent et prolifèrent, prennent du relief grâce à des variations d’intensité des couleurs, sont reliées par un rythme musical, deviennent sculpturales et deviennent , de façon allusive, anthropomorphiques. Il commence à analyser systématiquement sa démarche dans ses écrits.

1935 « Plus j’avance, plus l’appel de la nature devient évident… les volumes vont devoir devenir complets : des objets, des corps. Ce sera bientôt l’inévitable bout du nez de la nature et le passage dans une nouvelle ère naturaliste. »

1936 Participe à de nombreuses expositions de groupe à Paris, Londres et New York. Grand succès de sa première exposition à la galerie des Cahiers d’Art. A partir de juillet il vit principalement aux Etats-Unis, construit un atelier en Virginie, et passe l’hiver 1936-1937 à New York.

1939 Réalise sa dernière œuvre abstraite La figure tombée et simultanément sa première peinture figurative depuis dix ans, Au cycliste. En octobre, commence une série de têtes d’homme avec chapeau, structurées par des formes. C’est avec précision qu’il annonce à un ami, P.G. Bruguière, l’évolution de sa démarche à venir: « Il y a dix ans, je produisais mes premiers graphiques libérés de l’image naturelle. Je vais avoir 35 ans. J’ai encore le temps d’accomplir une grande oeuvre. Pendant dix ans, je crois que je vais regarder, admirer, aimer la vie autour de nous, les passants, les maisons, les jardins, les boutiques, les métiers, les gestes usuels. Puis quand j’aurai atteint la maitrise des moyens et le bagage de personnages et d’attitudes qui me fasse éprouver l’aisance que j’ai à présent dans l’art non figuratif, j’entamerai une autre période que j’entrevois depuis quelques jours: je rendrai à la peinture son pouvoir moral et didactique. J’attaquerai de grandes scènes qui ne seront plus seulement descriptives, administratives mais significatives comme les grands Poussin. »

1940 Hélion, à un moment où beaucoup d’artistes français se réfugient aux Etats-Unis, et malgré la notoriété qu’il y a acquise, choisit de rentrer en France dès janvier pour s’engager dans l’armée. Il est fait prisonnier en juin, interné dans un camp en Poméranie, puis à Stettin où il sert d’interprète dans un bateau-prison. Il s’évade le 13 février 1942, traverse l’Allemagne, dessine beaucoup sur le vif, se rend à Paris, puis à Marseille. Rentre en octobre aux Etats-Unis où il donne de nombreuses conférences pour dénoncer le nazisme, dans le but d’agir sur l’opinion pour convaincre Roosevelt qu’une intervention militaire est nécessaire. Il rédige le récit de sa captivité et de son évasion dans un livre à large diffusion They Shall not Have Me.

1943 Exposition individuelle à New York à l’ Art of this Century (Peggy Guggenheim). A contre courant et très conscient des risques pour sa reconnaissance, il renonce définitivement à l’art abstrait, achève des œuvres figuratives commencées avant guerre, dessine et peint de nouveaux hommes au chapeau.

1944 Hélion s’installe à New York, retrouve Mondrian, Ernst, Calder, Tanguy, Léger, Seligman, Ozenfant, Breton et André Masson, réfugiés aux États-Unis. Nombreux portraits, nus, natures mortes. Crée sa propre mythologie puisée dans le spectacle des rues. Séries des Allumeurs, des Fumeurs, des Femmes aux cheveux jaunes, des autoportraits à demi nus, des Salueurs, des Promeneurs, des Figures de pluie. Premières « mannequineries ». Des œuvres fortes, structurées par son expérience abstraite. 1946 En avril, retour en France. Durant l’été il peint des nus à Cagnes-sur-mer. En novembre, épouse Pegeen Vail, fille de Peggy Guggenheim.

1947 Peint À rebours qui résume toutes ses recherches antérieures – des premières abstractions aux nus de l’été précédent- insérés dans des architectures urbaines. En mai, Hélion présente ses œuvres figuratives à Paris où il n’a plus exposé depuis 1938. Elles sont très mal accueillies par la critique.

1948 Premier voyage en Italie, à Venise et à Gênes. Découverte de Alessandro Magnasco, peintre rococo de l’école génoise. À Paris, fait la connaissance des poètes Yves Bonnefoy, André du Bouchet et Francis Ponge.

1949 Hélion va réaliser de nombreux nus féminins véristes, sans souci de plaire. Peint ensuite, successivement les hommes aux bancs et les gisants, les mannequineries et des scènes complexes. « J’avais toujours admiré dans les devantures les mannequins qui faisaient des gestes […] Ces mannequins m’apparurent jouer tout un théâtre derrière la vitrine, un théâtre d’élégance et de manières. Il y avait aussi une façon de prêche accompli par leurs gestes. » Le convenu social des mannequins, leurs poses mondaines s’opposent à des personnages allongés dans la rue, sans souci des conventions, non pas des clochards comme on l’a parfois dit, mais des poètes ou le peintre lui-même.

1951 Dès l’automne, il peint des chrysanthèmes d’après nature. Incompréhension du public et de la plupart des critiques. La scène artistique parisienne est alors entièrement tournée vers l’abstraction. Natures mortes aux tapins, aux citrouilles, aux pains; nus d’après nature. Nombreux dessins des scènes de rue et de la vie quotidienne. Des allégories de son époque. Nouvel échec de ses expositions en France et à l’étranger.

1952 Hélion poursuit sans dévier son exploration du réel : géraniums, anémones, feuilles jaunies des marronniers, objets composés en natures mortes, souvent posés sur un guéridon. « Sur le temple en bois d’une table bien ordinaire, je dressais une somptueuse citrouille éventrée pour révéler tout le trésor de ses entrailles, les grappes de ses graines, ses filaments, ses dorures. » Il est réconforté par l’amitié et l’estime de Giacometti, Balthus, Brauner, Francis Ponge.

1953 Découvre Belle-Île où il achètera une maison. Il y réalise de nombreuses études d’après nature.

1954 Grandes compositions et nombreux dessins inspirés du Jardin du Luxembourg.

1955 Nouveau voyage en Italie à la découverte de Masaccio.

1957 Hélion peint des vanités où des crânes voisinent avec des objets familiers. « Rien de macabre, sentiment d’architecture, de noyau, de minéral, d’objet ordinaire et grandiose… l’objet qui survit longtemps encore, rassurant. » Nus à l’atelier, citrouilles et vanités. Hélion se sépare de Peggy.

1959 Portraits de ses amis poètes et collectionneurs. Apparitions des toits, ceux qu’il voit chez lui, rue Michelet, et qui réintroduisent sans artifices des formes géométriques et son questionnement sur les formes.

1962 Achète une propriété à Bigeonnette, près de Chartres, où il dispose d’un très grand atelier. Continue à peindre à Belle-Île durant l’été. Commence à utiliser l’acrylique. De retour à Paris, il est de nouveau émerveillé par le spectacle des rues. « Je rêve d’une chapelle Sixtine en costumes et formes d’aujourd’hui. » Ce rêve de l’allégorie, de la mythologie quotidienne, ce seront en 1963 Les bouchers qui l’incarneront. Il va aux Halles, crayonne ces « porteurs de viande ».

1963 Autres figures hiératiques aux Halles. « L’homme assis, le joueur de flûte ou de guitare sont les prêtres d’un culte que je ne peux formuler qu’en les peignant. .. Voilà ma mythologie. » Mariage avec Jacqueline Ventadour.

1964 Le spectacle des rues s’enrichit des ses propres rêveries. Ses personnages deviennent témoins ou acteurs d’une fresque moderne, ses compositions gagnent à la fois en formalisme et en liberté.

1967 Se lie d’amitié avec deux jeunes peintres: Gilles Aillaud et Eduardo Arroyo.

1968 Hélion s’intéresse au Cirque, « lieu où des gens ordinaires font des choses extraordinaires » puis aux événements de Mai 68 dont il se fait le témoin avec le triptyque « Choses vues en Mai », « Théâtre de Mai 68 » et « Conciliabules de Mars ».

1969 À Paris, se consacre de nouveau aux scènes de cirque. Peint aussi des entrées et sorties de métro.

1970 Rétrospective de son oeuvre à Paris, dans les Galeries Nationales du Grand Palais, organisée par Daniel Abadie ; et, organisée par le Centre national d’Art Contemporain, exposition itinérante de ses œuvres récentes à travers la France, jusqu’en 1972.

1971 Les ennuis oculaires d’Hélion, apparus en 1965, s’aggravent.

1972 Hélion se passionne pour les choux qu’il découvre à Bigeonnette. « Jacqueline est arrivée à l’atelier avec un chou serré contre la poitrine. C’était si beau que je l’ai pastellisé aussitôt. Chaque chou me paraît une abstraction naturelle sublime où se joue feuille par feuille, d’un chou à l’autre ce chant, cette phrase longue qui me hante. » Orchestres de rues, boutiques de fripes…

1973 Hélion s’installe définitivement à Bigeonnette, tout en gardant son atelier parisien. Se passionne pour les scènes de marché des bourgs environnants. Série sensuelle des Mathilde, peu vêtues à coté d’un feu de cheminée.

1974 Début d’une collaboration de douze ans avec le galeriste parisien Kart Flinker qui lui apportera un soutien sans faille, convaincu de la valeur exceptionnelle de son oeuvre à une époque où très peu de monde y croyait.

1975 – 1978  L’artiste déploie la plénitude de ses moyens. Homards et mareyeurs, Nus au perroquet, Perroquet bleu, 11 novembre, boîtes à livres sur les quais de Paris. « Le thème de la crucifixion ou de l’anti-crucifixion hante cette saga du homard ». Calvaire de Plougansten. Humour des Pantalonnades et Jambages. Pissotières de Paris. Suites pucières. A l’occasion d’une exposition, séjour à New York où il réalise de nombreux dessins. A partir de 1978, Hélion convoque l’ensemble des objets qui ont animé ses œuvres. Trois peintres portant leur chevalet évoquent le thème de la crucifixion. « Les mythes sont inscrits si profondément en nous que sous chacun de nos gestes, familiers ou extraordinaires, il y en a un qui s’exprime. »

1979 – 1980 Le Centre Pompidou organise une exposition itinérante de ses dessins présentée notamment à la Pinacothèque nationale d’Athènes et dans les Palais des beaux-arts de Pékin, Shanghaï et Nanchang.

1981 – 1983 Sa vue ne cesse de décliner. Le thème du songe s’impose, lui permet de faire apparaître la vérité derrière les apparences et de donner à celles-ci une autre vie. Les personnages des années 1940 ont des couleurs nouvelles : « J’ai peint en rouge des culottes qui ne l’étaient pas et en violet des femmes qui étaient nues parce que telle était ma bonne humeur, telle était ma façon de chanter le bonheur de l’un et de l’autre ». Beethoven avait composé sa musique la plus audacieuse à la fin de sa vie quand il était sourd. De même, Hélion âgé, avec une vue très diminuée, peint, avec l’assurance de celui qui a beaucoup regardé et pensé, toujours fait coïncider le conçu et le vu. Ses œuvres sont nourries par sa mémoire, sa pensée, ses rêveries sur sa vie passée, avec le besoin aussi d’un bilan artistique sur son oeuvre, dont très peu de ses contemporains n’ont su voir la cohérence. Des grandes toiles, des gouaches et des dessins où l’audace des couleurs et des formes n’a rien de hasardeux. L’abstraction fusionne avec la figuration. « C’est en peignant des objets que j’exprime le mieux l’abstraction-ici considérée comme l’âme du monde. » Les compositions sont complexes. Les personnages et les objets énigmatiques. En octobre, chute brutale de ce qui lui restait de vision. Il doit s’arrêter de peindre, il dicte des commentaires critiques sur ses peintures inachevées, conservées à Bigeonnette. Ce « mémoire de la chambre jaune » est suivi de trois cahiers sur son enfance et ses premières rencontres quand il a commencé de peindre.

1984 Deux expositions individuelle importantes : à la Lenbachhaus à Munich (le musée du du Blau Reiter) et au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris.

1987 Vente de sa maison de Bigeonnette, retour à Paris, rue Michelet. Exposition individuelle à la fondation Peggy Gouggenheim à Venise. Continue sans voir de visiter les expositions importantes grâce à Jacqueline qui lui décrit les tableaux.
Mort à Paris en octobre 1987.